Secteur maritime et portuaire: « Il faut que les femmes s’intéressent à la digitalisation des ports… »
Florentine Guihard-Koidio, préside le réseau des femmes professionnelles maritimes et portuaires de l’Afrique de l’Ouest et du centre (RFPMP-AOC), une association professionnelle dont les actions pour l’épanouissement des femmes du secteur ont été primées en 2021 à Las Palmas. Avec elle, nous avons fait le point de 2022 et ébaucher les perspectives pour de l’année 2023.
Qu’est ce qui a été au menu de vos échanges lors de votre rassemblement à Luanda dans le cadre du Conseil annuel de l’AGPAOC en novembre dernier ?
Nous sommes un organe spécialisé de l’Association de gestion des ports de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (AGPAOC) et toujours par le truchement de ces rencontres, nous profitons pour faire le tour des questions d’actualités. C’est aussi une manière pour nous de se motiver entre femmes dans ce domaine vraiment masculin. A Luanda, le changement climatique était au cœur des échanges. Voir comment mener des actions pour atténuer les effets du changement climatique. C’est ce thème qui a conduit nos échanges afin de faire à notre niveau des recommandations à l’AGPAOC. On sait tous qu’il y a le changement climatique qui entraîne de nombreux bouleversements si les hommes ne font rien. Aujourd’hui, il faut des outils moins gourmands en électricité, qui utilisent du carburant propre. Et au niveau des ports, mettre en place des systèmes qui utilisent des énergies renouvelables. Au port d’Abidjan, nous avons partagé notre expérience étant donné que nous utilisons beaucoup le solaire pour certains équipements. Nous essayons de regarder au niveau de l’informatique et des autres domaines, tous les outils. Il faut qu’ils soient moins gourmands en électricité. Un autre challenge, c’est le transport en dehors des ports assuré par des camions. Pour le moment, on n’a pas de main mise là-dessus. Ils sont très polluants et en vieillissant, ils émettent de forts taux de Co2. C’est un peu difficile, mais nous y avons réfléchi. Pour les actions qui peuvent concerner les femmes, nous avons décidé que chacune essaie en rentrant de sensibiliser les femmes surtout celle du milieu rural, du secteur informel. Au niveau d’Abidjan, on a eu à mener en collaboration avec l’Organisation maritime internationale, l’ONU-femmes des actions dans ce sens.
Au niveau de la vie du réseau, y a-t-il eu des recommandations particulières adressées aux des Directeurs généraux ?
En effet ! Nous avons demandé aux directeurs généraux de vraiment soutenir les femmes. À Luanda, l’AGPAOC a décidé de faire du réseau un Comité technique. Ce qui implique des séances de réflexions organisé par l’AGPAOC pour se réunir et plancher sur diverses thématiques en vue de ressortir des opportunités pour les femmes. Quand on parle aujourd’hui, d’automatisation des ports, de la digitalisation, des ports intelligents, ce sont des choses nouvelles. Tout le monde se bat pour être dans ce créneau. Et c’est donc une opportunité pour nous surtout qu’avec ces outils, on n’a plus besoin de se battre, de sortir les muscles. Dans nos recommandations nous demandons aux femmes de s’intéresser à ce domaine. Il faut que les femmes s’intéressent à la digitalisation des ports, à la protection de l’environnement en milieu marin, à la sécurité.
Ce passage en tant que Comité technique implique-t-il le fait que vous ferez désormais partie des comités qui préparent les differents Conseils annuels comme cela a été le cas ici à Abidjan il y a quelques mois?
C’est une reconnaissance que nous saluons. Mais nous devons voir comment cela se passera avec le secrétaire général de l’AGPAOC. Dans nos séminaires, nous avions l’habitude de joindre l’utile et l’agréable. C’est donc des séances de travail intenses mais aussi des moments de retrouvailles et de détente. C’est ce que nous voulons négocier avec l’AGPAOC. Le Dg des ports du Ghana, président sortant de l’Agpaoc, dit qu’il abritera la rencontre du réseau en 2023. C’est donc planifier par le Conseil. Voilà ce que nous gagnons. Et en même temps, nous voulons négocier des moments un peu festifs pour nous. Lors de notre séminaire cette année à Pointe-Noire, on était 250. Aux Conseil de l’AGPAOC, nous ne sommes pas autant. Donc oui, nous travaillerons comme les Comités techniques. Mais on essaiera de négocier une journée dédiée à autre chose.
« les femmes sont conscientes des enjeux du futur »
La digitalisation et la préservation de l’environnement sont cœur des réflexions menées autour des ports aujourd’hui. Pensez-vous que l’avenir des ports se joue là ?
En 2015, les Nations Unies ont engagés le monde entier dans un projet de développement durable. Si nous ne faisons rien, l’avenir de nos enfants sera difficile. Et dans cet aspect de développement durable, quel que soit le domaine dans lequel vous vous insérez, il faut prendre en compte la dimension sociétale, économique et environnementale. Et pour contrôler tout cela la digitalisation est au cœur. Aujourd’hui, on veut un port citoyen, un port qui se réconcilie avec les hommes qui y travaillent mais également qui y vivent. Aujourd’hui, les portiques utilisés sont de plus en plus automatisés, commandés à distance. On va vers des ports intelligents, qui n’agressent pas l’environnement.
2022 est terminé. Qu’est ce qui a constitué l’essentiel de vos activités ?
L’essentiel de nos activités a tourné comme chaque année autour de la formation des femmes. Les accompagner, leurs donner les outils afin de s’épanouir dans leur travail. Globalement, dans tout ce que nous faisons, la compétence de la femme est mise au centre. Chaque année au niveau international, nous mettons tout en œuvre pour tenir au moins trois rencontres. Mais au niveau local, les femmes se retrouvent pour réfléchir aux problèmes de leurs ports respectifs. Je suis très satisfait de ce que les femmes ont fait dans leur réseau national. Ce qu’on doit retenir, c’est que ce sont des femmes maritimes et portuaires conscientes des enjeux du futur qui se mettent à jour dans cette évolution.
Ce que retiens aussi, c’est qu’il faut tenir compte des femmes du milieu informel. Nous sommes un réseau professionnel, ce qui fait que notre cible s’est focalisée sur une catégorie de femmes. Mais ces femmes du milieu informel participent à l’économie nationale et leurs actions peuvent freiner certaines actions de développement durable. Nous avons réfléchi cette année et la décision forte que nous avons prise est d’essayer d’aller vers ces femmes qui ne sont pas membres du réseau, les sensibiliser pour un environnement sain où les acteurs sont bien intégrés. Par ailleurs, cette année, nous avons réceptionné le prix de la meilleure organisation féminine qui œuvre pour l’épanouissement de la femme. Il avait été décerné en 2021. C’est un prix espagnol. Nous l’avons dédié à tous nos directeurs généraux à qui nous avons présenté ce prix et remis au secrétaire général de l’AGPAOC.
Comment envisage-t-on 2023 ?
Du 13 au 18 mars 2023, nous devons nous retrouver à Las Palmas. Et ce qui est intéressant là-bas, c’est qu’on a des femmes qui viennent de divers horizons. Cela nous permet échanger nos différentes expériences. Ensuite le 18 mai 2022, l’OMI a décrété cette journée comme celle de la femme maritime et portuaire. Je profite de l’occasion pour remercier l’OMI qui soutient les femmes du secteur. On était récemment à Dakar sous l’initiative de l’OMI. Dans le cadre de cette journée une grande manifestation est prévue. On en a discuté avec l’OMI. Mais déjà en Côte d’Ivoire, nous prévoyons une manifestation et un peu partout dans les pays membres.
Nous avons aussi un projet en vue avec Tanger Med. On a parlé de digitalisation des ports et à ce niveau, Tanger Med est un bel exemple. Quoiqu’ici à Abidjan nous avons inauguré un second terminal à conteneurs ultra moderne qui est vraiment une fierté sous régional. Nous voulons aller voir ce qui se passe au niveau de Tanger Med pour des échanges d’expériences.
« Je rêve d’une femme maritime et portuaire épanouie dans son travail et dans son foyer »
Votre quête est de voir les femmes accéder de plus en plus à des postes de responsabilités. En 2022, les lignes ont-elles bougé ?
En tant que présidente, c’est un peu ma grande déception. Les choses ont bougé mais négativement. Parce que parmi les femmes qu’on avait comme Directrice générale, plusieurs ont été débarquées pour diverses raisons comme c’est le cas en Guinée avec le coup d’Etat. Mais ma satisfaction, c’est que le port de Guinée ait été primé port le plus performant en terme de temps d’attente des navires au niveau de la sous-région. La nigériane Hadiza Bala Usman a fini son mandat au niveau des ports du Nigéria. On aurait bien voulu la voir remplacer par une autre femme. Une autre grosse satisfaction, c’est au niveau de Las Palmas où nous travaillons avec une fondation qui a vu une femme être placée à la tête.
Un mot à l’endroit de vos membres ?
Ce que je peux dire à l’endroit des femmes du RFPMP-AOC, c’est d’être fières d’elles. Ensemble, nous sommes plus fortes. Je demande à mes sœurs de doubler et redoubler d’efficacité, de toujours apprendre. C’est l’arrivée qui compte comme disent certains. Je rêve d’une femme maritime et portuaire épanouie dans son travail et dans son foyer et en harmonie avec les hommes avec qui elle travaille. Je souhaite à toutes une très belle année 2023. Nous devons chaque année, nous bonifier et obtenir la confiance de nos directeurs généraux. Nous sommes fières de nous et nous souhaitons que les hommes soient fiers de nous. Bonne année à toutes les femmes du monde entier.